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Yerru

Série La légende de Galahn Hy

Une nouvelle de Sandrine WALBEYSS

Yerru observait le port de Tvinton.

Assis sur l’escalier qui menait au grenier d’une auberge, il dominait le quartier marchand de la ville. Parmi les Mille Terres, seulement quatre arches reliaient les îles au continent, et l’une d’elle se trouvait ici. Elle avait l’air de faire partie du paysage. Appuyée sur des piliers métalliques à chaque extrémité, l’arche se déployait en son faîte en une large place occupée par des marchands itinérants qui s’installaient avant le lever du jour et ne partaient qu’à la tombée de la nuit. Sous cette place grouillante d’activités, la nature s’amusait. Les lianes et les plantes du continent s’insinuaient dans tous les interstices de la structure pour habiller d’une robe multicolore l’arche de Tvinton. De l’autre côté, les cactées milliennes et les plantes grasses occupaient le moindre centimètre carré. Yerru avait souvent vu des visiteurs surpris de découvrir le métal de la structure, pensant que l’arche était une construction naturelle. Mais il n’avait jamais vu une arche naturelle de cette taille. Plus de cent kilomètres séparaient la ville du continent, et même si l’arche de Tvinton était la plus petites des Mille Terres avec celle de Rischol, elle n’en constituait pas moins une prouesse technique.

Tiré de ses réflexions par la sonnerie du quartain, il se prépara à descendre, mais ne put résister à la tentation d’observer ses clients. C’était la première fois qu’il acceptait d’emmener des voyageurs sur la Longue Trace. Il faisait le voyage autour des Mille Terres depuis des années, par la forêt ou les montagnes. Il lui était même arrivé plusieurs fois de traverser le désert de Qumyre, mais il n’avait jamais accepté d’inconnus à bord de son camion.

Il s’était fait avoir par Cybha, encore une fois. Sa sœur lui avait demandé comme un service d’emmener son fils Byrnro pour lui faire découvrir autre chose que l’eau et les îles. Yerru avait peu d’affinités avec ce neveu qui nageait comme un poisson, mais il ne savait pas dire non à Cybha, et avait donc accepté, un peu à contrecœur, de s’adjoindre l’adolescent pendant les deux semaines de trajet prévues. Comme si cela ne suffisait pas, un couple d’Iraporrims avait demandé à voyager par la route. Devant l’absence d’installations routières touristiques, que ce soit à l’intérieur des Mille Terres ou sur le continent, le Mayor de Tvinton en personne avait fait la demande à Yerru.

La confrérie des transporteurs était réduite. Pas plus de vingt conducteurs traversaient la planète d’un bout à l’autre. Le reste des Milliens ou des Onhtis utilisaient le bateau ou l’avion, les voitures restant cantonnées aux trajets internes.  Parmi ceux qui se trouvaient dans les environs, Yerru était le seul à avoir une cabine aménagée suffisamment spacieuse pour quatre personnes. Voilà à quoi l’avait mené l’envie d’espace et le besoin d’intimité ! Yerru avait fait aménager la cabine sur mesure, pour s’en faire une vraie maison. Il possédait une cabine avec un lit double qui se transformait dans la journée en bureau et bibliothèque. Une petite salle d’eau alimentée par la citerne du toit, et une cuisine ouverte sur un auvent. Yerru adorait sa cabane. Il n’avait besoin de rien de plus. Isolé du monde tant qu’il le souhaitait, il suffisait qu’il sorte de son camion pour faire les rencontres les plus fabuleuses, d’un bout à l’autre de Callysth.

Et voilà qu’il allait devoir partager ce cocon avec trois parfaits inconnus ! Yerru descendait l’escalier, cherchant dans la foule du port les parasites qui allaient occuper son espace. En approchant, il vit d’abord Byrnro. Le garçon avait encore grandit depuis la dernière fois qu’il l’avait vu. Impossible de savoir si son pantalon était trop petit ou si c’était la mode en vigueur parmi la jeunesse tvintie. Si Yerru n’avait jamais suivi les effets de mode, il était par contre à même de reconnaître l’origine de la plupart de ses interlocuteurs en observant leur manière de se comporter, de parler ou leur aspect vestimentaire. Avisant l’énorme sac à dos qui accompagnait l’adolescent, il poussa un soupir. Il se sentait déjà à l’étroit dans sa cabine.

Tout en avançant, Yerru scrutait les visages, cherchant à deviner qui étaient les Iraporrims. S’il n’avait jamais mis les pieds à Iraporr, Yerru en avait souvent croisé sur Callysth. Les Bakous voyageaient à travers la galaxie comme il faisait le tour de sa planète. La plupart d’entre eux étaient très reconnaissables, avec leur peau grise pailletée, mais il en avait croisé bien d’autres, de toutes tailles et de toutes formes. Iraporr comme Callysth illustrait à merveille le mélange des habitants. Une brusque bourrade dans le dos le fit réagir. Il se retourna, prêt à laisser éclater sa colère, pour se retrouver face à Orklanh. Coupé dans son élan, il en resta les bras ballants, tandis que son ami le prenait dans ses bras.

— Yerru ! Comme je suis heureux de te revoir ! Ça fait combien de temps ? 

Yerru se laissait embrasser par son ami.  Il était ravi de le revoir, mais ne savait pas si c’était une bonne chose de connaître si bien ses passagers. Aurait-il la force de leur dire quelque chose s’ils n’agissaient pas comme il le fallait ? Oserait-il dire ce qu’il avait sur le cœur ? C’est une chose de rembarrer des inconnus, mais les amis sont précieux, et il ne voudrait pas être indélicat. Orklanh babillait toujours. Il n’avait pas changé.

— Je te présente Grahine. Je savais bien qu’en demandant un trajet par la route on finirait par tomber sur toi ! Où est ton camion ? On est prêt à partir. Regarde, on a tout ce qu’il faut. 

Quatre énormes sacs de plus. Yerru se sentit étouffer.

— Je… Heu… Ma cabine n’est pas très grande. Je ne sais pas si tout va tenir. 

Un éclat de rire lui coupa la parole.

— Mais enfin Yerru, on ne va pas mettre tout ça dans ta cabine voyons ! Si tu as de la place sur le toit ou dans la remorque ce sera parfait. Nous ne sortirons les tentes que pour dormir, et le réchaud pour cuisiner. Pas question de trimballer tout ça à l’intérieur. Déjà qu’on s’invite, on va se faire les plus petits possibles, n’est-ce pas mon garçon ?

Au moment où Byrnro acquiesçait de la tête, Yerru se sentit honteux. Dire qu’il avait eu si peur de se faire envahir, alors que ses passagers avaient tout préparé pour lui peser le moins possible. Il accepta les émotions contradictoires qui montaient en lui, évacuant la peur et l’appréhension pour ne garder que le plaisir de voyager en bonne compagnie et de partager cette route pour la découvrir avec un œil neuf.


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