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Les Marcheurs de l’Univers

Série La légende de Galan Hy

Une nouvelle de Sandrine WALBEYSS

Floralunh venait de mourir.

Assis au chevet de son père, Iolunh regardait sans le voir le ciel sombre d’Iraporr. Contrairement au ciel d’Uhnythais, de toutes les teintes de bleu suivant la place du soleil blanc et le pays d’observation, celui d’Iraporr était uniformément noir. Un noir éclairci par les nuages de lumière qui se promenaient d’un bout à l’autre de la planète suivant un planning géré quotidiennement. Un noir interrompu par les portes ouvertes ici ou là par les maîtres des étoiles.

Floralunh avait été l’un des marcheurs les plus connus de l’univers. Il avait expérimenté de nouvelles voies entre les planètes, et défini les règles de base du voyage entre galaxies. D’une simplicité extrême, il avait toujours cherché à partager son savoir et à aider les communautés des pays qu’il traversait. Il avait toujours refusé de laisser les plus jeunes le remplacer lorsque venait son tour de conduire les Iraporrims. Selon un calendrier établi par les anciens, chaque Irraporim en âge de travailler devait prendre quelques heures sur son temps pour aider ses compatriotes à la mesure de ses moyens. Les marcheurs avaient donc depuis longtemps la charge de conduire les Iraporrims qui souhaitaient se déplacer. Ils sillonnaient la planète de portes de toutes tailles, dont les formes et les couleurs reflétaient la personnalité de leur créateur et les ajouts de chaque utilisateur.

Floralunh s’occupait souvent des voyages planétaires et galactiques, mais il mettait le même enthousiasme à conduire les habitants d’un village du cratère sur les collines de la pluie. Il était aux petits soins pour chaque voyageur, répondant à leurs questions, adaptant la longueur du trajet à leurs besoins.

Iolunh avait l’impression d’avoir toujours voyagé, mais il se souvenait très nettement de la première porte qu’il avait créée. Dans le monde très restreint des Marcheurs de l’Univers, créer sa première porte était à la fois l’entrée pleine et entière dans la famille des maîtres des étoiles, et l’acceptation des devoirs et de la responsabilité qui en découlaient. Il se rappelait avec acuité les mots prononcés par son père. « Petit marcheur, te voici devant le premier chemin des étoiles. Tu le vois distinctement comme tous ceux que les aînés ont tracés avant toi. Il ne te reste qu’à ouvrir la porte qui y mène. Une porte que tu vas créer à ta mesure, selon l’usage que tu souhaites en faire. Prend le temps d’y réfléchir, voyager d’un univers à un autre n’est pas à prendre à la légère. Nous sommes les maîtres de l’espace, mais se faisant, nous jouons aussi avec le temps. Chaque modification que nous apportons sur le chemin tourne la roue du temps dans un sens ou dans l’autre. Ici rien n’est figé. La roue tourne, mais son sens dépend de l’endroit d’où tu l’observes, ne l’oublie jamais. Petit marcheur, rappelle-toi de ces mots tout au long de ta route, et n’oublie pas de prévoir une poignée de chaque côté de ta porte, de manière à pouvoir l’ouvrir à nouveau lorsque tu voudras revenir. La seule porte que tu créeras avec une seule poignée sera celle de mon dernier voyage. »

Iolunh leva les yeux vers les nuages de lumière qui s’étaient assemblés en rond autour de l’endroit où il avait posé le corps de Floralunh. Il sentait la présence des maîtres des étoiles autour de lui. Il pouvait entendre le cœur de chacun d’entre eux, mais une mélodie manquait. Un air lancinant qu’il n’entendrait jamais plus. Iolunh sentait les larmes couler sur ses joues. Il y avait tant de choses qu’il aurait voulu lui dire. Tant de choses à partager encore. Tant de choses à apprendre et à découvrir. « Je ne suis pas seul papa, mais tu me manques. » Iolunh dévisagea une dernière fois son père, regardant sa peau sombre, maintenant que les étincelles de vie l’avaient quitté. Sa mèche blanche inerte, au sommet du crâne. Ses mains paisibles. Son cœur muet.

Les marcheurs s’étaient approchés, jusqu’à presque toucher le père et le fils. Le bruit de leur pas annonçait le début de la cérémonie, le premier tempo du deuil. Iolunh sentit des bras l’appeler et il saisit les doigts de chaque côté, suivant la farandole qui recréait la mélodie de son père. Des accents appuyés, lourds, martelés par les centaines de talons. Le poids de la peine, de l’adieu, de la séparation. Peu à peu, les pieds s’allégèrent, se séparèrent, recréant des dizaines de ruisseaux qui se mêlaient. Un air perdu, cherchant ici et là un moment passé que le présent avait effacé. Puis les bras se levèrent, et les chants s’élevèrent, célébrant la vie qui était passée, la joie partagée et les souvenirs heureux. Une mélodie vive, colorée, fantasque, exubérante.

Lorsque la ronde s’arrêta, Iolunh sut que le temps était venu. À son tour, il commença à créer la porte sans retour.


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