Aller au contenu

Maître des Étoiles

Série La légende de Galahn Hy

Une nouvelle de Sandrine WALBEYSS

Du haut de la tour d’Yvonyth, Iolunh pouvait contempler tour à tour le Cratère avec ses forêts encerclant le centre aride où rien ne poussait et le fleuve Bord qui paressait dans le brusque élargissement du courant qui précédait les rapides d’Iskhole.

La Tour était le point de repère et de ralliement des Marcheurs depuis la nuit des temps. Le point ultime d’où partaient tous les chemins créés par les Maîtres des Étoiles. Loin des routes fabuleuses qui constellaient le ciel d’Iraporr et de l’ensemble des planètes de la galaxie Inhertinn et que les voyageurs admiraient et utilisaient à la suite de leurs guides, la Tour semblait inaccessible aux non-initiés. Il avait fallu à Iolunh dix ans  avant de voir le premier chemin qui l’y avait mené. Un autre univers, au sein même de sa communauté, dans le quartier où il avait passé toute son enfance. Un lieu secret, inconnu, inaccessible, et pourtant à la vue de tous.

C’est ce qu’il avait trouvé le plus beau dans cette construction. Rien n’était fermé ni interdit. Il n’était pas ici question de connaissances enfermées à l’abri des regards ou d’expériences réservées aux initiés. La Tour s’offrait à tous les regards. Iolunh était passé des dizaines de fois à l’endroit où il avait trouvé le sentier. Des milliers de pas dans ces rues sans rien voir tant qu’il n’avait pas fait le chemin intérieur nécessaire.

C’est ainsi que fonctionnait l’apprentissage des Marcheurs. Personne n’était jugé digne d’appartenir à la communauté sur la simple raison de sa parenté avec un Marcheur célèbre. Seule la réussite aux épreuves concrètes ouvrait la porte de la Tour. Peu importait le temps que cela prenait. Si quelqu’un pouvait pénétrer dans la Tour, il était aussitôt accepté comme Marcheur et commençait son apprentissage. Certains arrivaient à peine adolescents, comme il l’avait fait, alors que d’autres arrivaient à la fleur de l’âge ou presque au crépuscule de leur vie. Cela nourrissait la diversité des chemins et faisait la force des équipes qui sillonnaient l’univers pour créer, entretenir ou fermer les routes des étoiles. Chacun apportait sa pierre à l’édifice.

Iolunh avait pris part à tout cela. Il avait créé des portes, emmené des voyageurs dans les dix planètes de la galaxie Inhertinn, et participé à la fermeture de routes trop dangereuses pour rester en service. Mais ce qui l’attendait n’avait pas grand-chose à voir avec tout cela, et pourtant…

Ce qui se dressait devant lui, c’était son épreuve de Maître des Étoiles. Le but ultime de tout Marcheur, le graal de toute une vie, le mur qui se levait devant ses yeux. Envahi par les doutes et la détresse d’un petit garçon certain d’échouer, Iolunh tenta de retrouver son calme. Il ne lui servirait à rien de commencer sa construction s’il n’était pas serein, en paix avec lui-même.

Effrayé malgré lui par l’enjeu et l’idée qu’il se faisait de cette étape, il se rappela les enseignements du Mirtapi, le jeu qu’il avait créé tant de vies auparavant avec ses amis. Si quelque chose pouvait l’aider à reprendre ses esprits à ce moment précis, c’était bien le Mirtapi.

Fermant les yeux, Iolunh visualisa le plateau de jeu. Le plateau vide, dans cet instant où tout est à construire, dans l’intervalle où rien n’est posé, où tous les possibles sont à égalité, où le métronome n’a battu ni à droite ni à gauche, dans cet espace impalpable où rien n’existe mais où tout est présent.

Il se laissa dériver dans cette liberté infinie du non-être, dans cet indéfini prêt à éclore.

Qu’il était simple de rester dans ce mouvement immobile, dans cet équilibre plus tout à fait yin et pas encore yang, entre la pensée et l’action, comme une goutte d’eau qui aurait quitté son nuage et pas encore touché la terre.

Soudain, alors qu’il se laissait porter par la densité du vide, par tous les possibles qui partageaient ce moment, où plus rien n’avait d’importance, Iolunh sut ce qu’il avait à faire. Là, dans cet espace, son sentier se dessinait. Un chemin à sa mesure, une route bâtie avec ses espoirs et ses peurs, une étape à sa dimension. Plus rien ne lui faisait peur. Il avait affronté le vide du non savoir, le mur des peurs, le trop plein de connaissances et il en était ressorti victorieux.

Tout ce qu’il avait oublié dans cet intervalle avait formé les solides fondations du Maître des Étoiles qu’il serait. Un Maître à l’écoute de son cœur. Un Maître attentif aux autres. Un Maître prêt à découvrir le monde avec un nouveau regard.

——————————————————————-

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.