Série La légende de Galahn Hy
Une nouvelle de Sandrine WALBEYSS
Il y était. Enfin. Déjà. Le sentiment qui l’habitait était contradictoire. Il était ravi d’avoir terminé son sentier mais à la fois déçu de l’avoir déjà fini. Il avait tant apprécié le chemin qu’il s’y serait volontiers attardé un peu plus. Pourquoi pas après tout ? Rien ne l’en empêchait. Il sentait qu’il était au bout du chemin, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il venait d’y créer une porte.
La porte finale de son sentier. Celui qui partait de la tour d’Yvonyth et qui s’arrêtait ici, en tout cas pour cette étape. Un sentier qui serait à la disposition des Marcheurs qui voudraient l’utiliser. Il n’avait aucune idée de ce qui se trouvait derrière la porte. Pour la première et la dernière fois de sa vie, il avait suivi l’idée directrice de son sentier sans s’inquiéter de la géographie de la planète ou de la galaxie. Il ne savait pas encore ce qui l’attendait de l’autre côté, mais il n’était pas impatient, en tout cas pas autant qu’il l’aurait cru. Il ressentait une certaine nostalgie à l’idée du chemin qui l’avait mené ici. Un besoin de revisiter les étapes d’un parcours hors normes. Même selon les standards des Maîtres des Étoiles, Iolunh était un cas à part. Créateur d’un jeu mythique qui avait essaimé dans tout Inhertinn quelques vies auparavant, il avait sillonné la galaxie et participé à la création comme à la fermeture de routes de légende. Il avait fait partie des pionniers qui avaient construits les routes du Grand Extérieur, ces chemins qui avaient permis de désengorger Callysth où toutes les routes précédentes convergeaient, tel le nœud central d’une gigantesque toile d’araignée. Grâce à ces pionniers, on pouvait maintenant aller directement de Ghlossyth à Pliska ou d’Iraporr à Uhnythais.
Se retournant, dos à la porte qu’il venait de créer et dont il sentait la vibration dans son dos, Iolunh regarda le chemin parcouru. Il se souvenait du petit Bakou qui suivait son père, les yeux emplis de lumière et de voyages lorsqu’il lui racontait les voies des étoiles. Iraporr était la plus petite planète d’Inhertinn, mais elle avait fourni à la galaxie les meilleurs ambassadeurs. Génération après génération, les Maîtres des Étoiles s’étaient succédés. Et voilà que son tour arrivait. Enfin. Déjà. Serait-il à la hauteur de l’enjeu ? De l’histoire fabuleuse de ces Grands Maîtres ? À la hauteur de ses rêves d’enfant et de l’appel de son âme ?
Son regard remontait l’ensemble du sentier depuis la tour d’Yvonyth. Comme elle semblait loin ! Que de bons moments passés ici, que d’apprentissages, de douleurs et d’échecs aussi, mais qui avaient forgé le Bakou qu’il était devenu. Il sentait le poids du passé se déposer peu à peu, à chaque mètre parcouru, il se sentait plus léger, plus grand, moins important. Il suivait la lumière du sentier comme on suit une luciole dans le noir, sans savoir pourquoi, juste pour partager la fugacité de l’instant, le plaisir de sentir une vie, si tenue soit-elle. Un battement, un frôlement, un effleurement qui vous fait sentir toute la douceur de vivre. Non pas à cent à l’heure, brutalement, passionnément, mais au contraire un rien que vous auriez manqué si vous n’aviez pas été attentif à cet instant, juste celui-là, qui vient de disparaître. C’est parfois ce qui fait toute la différence entre la joie et la douleur, un petit moment d’attention.
Le regard de Iolunh était revenu à ses pieds. Il avait refait le chemin, pour se souvenir de tout ce qui l’avait composé avant de passer à la prochaine étape. On ne se construit bien que lorsqu’on a éprouvé la solidité de son ancrage et de ses fondations. L’adage de son père qu’il avait fait sien n’avait jamais été aussi vrai. Il le ressentait, profondément, jusque dans les minuscules cellules de son être. Rien n’avait changé et pourtant tout était différent. Il était prêt. Déjà ? Enfin.
Rassuré, Iolunh fit face à la porte. La plus belle porte qu’il ait construite, celle dans laquelle il avait mis tout son savoir-faire, tout son amour, toute sa volonté, et toute la joie qui l’habitait. Une joie sonore, confiante, virevoltante, une joie qui débordait par tous les interstices de la porte. La porte de l’espoir, la porte du lendemain. La porte de l’ailleurs. Iolunh sourit une dernière fois à son sentier, pour alimenter le réservoir de joie qui attendrait les suivants, et passa sa porte, pour la première fois.
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