Pendant des années, Lucie a eu l’impression que tout le monde savait qui il était et ce qu’il faisait, sauf elle. Elle avait l’impression d’être une ourse dans un poulailler. L’image peut vous faire sourire, et aujourd’hui elle la trouve très drôle, mais quand on est une petite fille, et qu’on a cette impression, on essaie par tous les moyens d’être une poule.
C’est compliqué, car Lucie voit bien qu’elle ne ressemble pas aux autres, alors elle se fait toute petite, elle ne parle pas beaucoup, elle ne se fait pas remarquer… Lucie a en permanence cette peur, la peur que les autres se rendent compte qu’elle n’est pas comme eux, et qu’elle n’a rien à faire dans le poulailler. Ce serait la fin du monde, car à ce moment là, le monde de Lucie c’est le poulailler. Mais bien sûr comme elle est une ourse et qu’elle essaie d’agir comme une poule, elle a l’impression d’être inadaptée, de ne savoir rien faire, de ne pas être capable… Alors Lucie garde la tête basse, elle observe autant qu’elle peut pour tenter de comprendre comment vivre dans ce monde, comment se faire accepter…
Et puis un jour le monde change. Ce jour-là, un renard entre dans le poulailler. Il effraie les poules bien sûr, mais avec l’ourse c’est différent. Le renard a bien vu que cette ourse qui se cache dans un coin n’est pas une poule. Du coup, il est prudent et reste sur ses gardes. Il n’attaque pas comme d’habitude pour repartir aussitôt. Il regarde cette ourse qui n’a pas l’air malheureuse, mais qui n’a pas l’air à sa place.
Et Lucie dans tout ça ?
L’ourse est chamboulée. Voilà que d’un coup un nouvel élément arrive dans son poulailler bien ordonné. Et là pour le coup elle a bien vu que le renard n’était pas une poule, et qu’il ne cherchait pas à en être une. Mais alors ?! Alors ça veut dire qu’il n’y a pas que des poules dans ce monde ? Ça veut dire qu’on peut être un autre animal et avoir une place ? Savoir qui on est et vivre en accord avec ça ? Et si Lucie regarde bien, elle ressemble plus au renard qu’aux poules, elle a quatre pattes, des poils, un museau et des dents…
Alors l’ourse décide de partir avec le renard.
Pour Lucie, tout est nouveau. Son ami renard est plutôt extraverti, à l’aise en société, il aime les gens et être à son avantage. Pour l’ourse qui ne connaît rien d’autre que le poulailler et ce nouvel ami, c’est un changement conséquent. Elle fait de son mieux pour être moins timide, mais face à une famille de renards, ce n’est pas facile de prendre sa place. Eux ils sont là, installés, ils savent qui ils sont et ils n’ont pas peur du monde extérieur.
Mais l’ourse, elle, sent bien qu’elle ressemble plus aux renards qu’aux poules, mais parfois, elle est nostalgique de la quiétude du poulailler le soir et des discussions sans fin. Alors Lucie se perd à nouveau dans ses peurs. Si elle n’a pas réussi à être une poule ni un renard, ça veut dire qu’il n’y a pas de place pour elle dans ce monde ?
L’ourse continue à vivre, elle aime ses amies poules et ses amis renards, elle passe de bons moments avec eux. Mais Lucie n’est toujours pas tout à fait à sa place, pas tout à fait elle-même. Alors elle continue d’observer le monde autour, elle s’intéresse à ce qui se passe, elle pose des questions à tous ceux qu’elle rencontre, poules et renards, canards et chiens, moineaux et loups…
Et un jour, au détour d’un changement de vie professionnelle, Lucie fait une rencontre. Au sein d’un groupe, elle voit soudain d’autres animaux… une grue, une marmotte, un lion et… un gros animal ! Tiens, tiens…. Comme il est beau cet animal, comme il est fier, comme il est bien posé sur ses pattes, et comme il est à l’aise avec qui il est.
Mais quand Lucie regarde bien, ses pattes sont presque aussi grosses que les siennes, son poil est un peu hirsute mais presque aussi soyeux… En fait il lui ressemble ! Mais alors ? Ça veut dire qu’il y a d’autres ours ? Qu’elle n’a pas besoin de se cacher ou d’essayer de ressembler aux autres animaux ?
Que fait-il ? Comment vit-il ?….
Ça fait longtemps maintenant que Lucie a croisé le renard et rencontré l’ours.
Depuis, Lucie travaille à savoir quelle ourse elle est. Car oui, ça y est, elle sait qu’elle est une ourse. Elle observe les autres ours (depuis elle en a rencontré d’autres) pour comprendre comment fonctionne un ours, et comment être un ours en bonne santé. Mais elle sait, car c’est ce qu’elle a retenu de son long chemin vers elle-même, Lucie sait qu’elle n’est pas la même ourse que sa voisine. Elle n’est ni meilleure ni moins bien, juste différente. Car son chemin est unique, et sa compréhension du monde aussi.
Aujourd’hui le chemin n’est pas terminé, et l’ourse va parfois dormir dans le poulailler, mais la vie est plus belle depuis qu’elle sait qui elle est.