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Comment une entreprise qui grossit devient l’ogre qui se nourrit de lui-même

Comment une entreprise qui grossit devient l'ogre qui se nourrit de lui-même, un texte de Sandrine WALBEYSS

Tous ceux qui travaillent dans une entreprise d’une certaine importance (ou une administration), et surtout ceux qui ont assisté à l’expansion de l’entreprise, auront sans doute constaté qu’au bout d’un certain temps, voire d’un temps certain, la partie administrative prend de l’ampleur.
 
Elle prend de la place physiquement, car il y a de plus en plus de personnes pour s’en occuper, et elle prend de la place psychologiquement et de manière temporelle, car cette expansion s’accompagne généralement d’un surcroît d’outils de gestion chronophages incluant parmi les plus usités : les réunions et les tableaux (de synthèse, de gestion, de préparation…). Autant d’outils qu’on vous présente comme des maux nécessaires dont vous êtes censés oublier le poids lorsque vous y serez habitués.
 
Je n’ai nul besoin d’expliquer ici l’erreur de cette vision. Tout ceux qui l’ont vécu ou le vivent savent bien que ce poids ne disparaît jamais, puisqu’il est sans cesse en augmentation. Vous n’avez donc aucune chance de l’oublier, tandis que ceux qui ne l’ont jamais connu prennent ça pour une légende urbaine, avec parfois une certaine condescendance à l’égard de ceux qui ne savent pas gérer leur colère et leur frustration professionnelle.
 
Mais ceux là oublient 2 choses : la machine infernale d’une entreprise qui grossit crée, quasiment à coup sûr, un ogre administratif qui se nourrit de lui-même. Pour exister, il a besoin de ces illusions de contrôle et de gestion, d’imposer un cadre, une manière de récolter les informations dont LUI a besoin auprès des salariés.
Car la meilleure preuve de présence de cet ogre dans une société (commerciale ou non), c’est le décalage entre ces demandes et les outils qui permettraient à ces salariés de gagner du temps dans leurs tâches quotidiennes.
 
L’ogre qui se nourrit de lui-même a besoin de ces tableaux, compte rendus, audits, rapports… Peu importe le temps que cela vous demande, et le fait que cela vous détourne d’autres tâches importantes pour la satisfaction de vos clients ou de vos usagers.
 
Cela nous amène au 2° point. Au fur et à mesure de cet emballement, de cette course effrénée pour satisfaire l’ogre (qui ne le sera jamais), vous devenez improductif. Pas parce que vous avez moins de temps pour faire votre vrai travail, bien que cela aurait été cohérent. Non.
Vous devenez improductif parce que l’ogre divise le monde en 2 : les productifs, qui en général travaillent de leurs mains (et / ou de leurs cerveaux) pour servir ce que l’entreprise vend, et les improductifs.
 
Ce terme regroupe tout le travail nécessaire et invisible sans lequel rien ne serait vendu mais, comme il est invisible (car non facturé directement au client en terme de fourniture ou de main d’œuvre), il entre, dans les analyses de l’ogre, dans les frais généraux.
Ces frais ont un poids non négligeable dans le calcul d’un prix de revient, surtout lorsqu’un ogre est présent, et il sait vous le faire savoir (que vous coûtez cher). C’est en général d’ailleurs une bonne entrée en matière pour vous présenter le nouveau tableau d’analyse qui permettra, c’est sûr, de régler le problème.
 
Une fois ce constat, alarmant et inconfortable, fait, se pose la question principale : comment en sortir ?
Comme pour tout changement, 3 étapes sont nécessaires :
1) prendre conscience de la présence de l’ogre (c’est le plus facile) ;
2) accepter la présence de l’ogre (c’est la plus douloureuse, car l’ogre sait jouer sur nos peurs et le principe de « la meilleure défense est l’attaque » est en général bien intégré chez lui) car sans cette étape rien n’est possible ;
et 3) l’action.
 
Un écueil de taille sur l’étape 2 est de se dire que le problème est externe : c’est la faute de la conjoncture, des normes, de la direction, des actionnaires, de l’Europe, des concurrents, des fournisseurs, des clients…
Tant qu’on est persuadé que le problème vient de l’extérieur, on n’a aucun pouvoir dessus. Accepter que nous sommes acteurs de ce qui se passe et que nous nourrissons l’ogre est un gros morceau à avaler, mais lorsqu’on accepte notre responsabilité individuelle, on se donne les moyens d’agir.
 
Concrètement, quels sont les moyens d’action ?
Refuser d’utiliser des outils qui sont contre productifs et ne permettent pas d’être plus efficace dans votre travail. Le vrai, celui qui vous plaît (ou pas) mais pour lequel vous avez été embauché. Celui qui apporte quelque chose à la société, celle pour laquelle vous travaillez, et celle dans laquelle vous vivez.
 
Arrêtez de croire que quelque chose qui vous retarde et qui ne vous apporte rien dans l’immédiat sera efficace à long terme.
C’est vrai qu’avec un nouvel outil, il y a un temps d’apprentissage et de familiarisation, c’est toujours le cas. Mais avec un bon outil, vous verrez tout de suite ce qu’il pourra vous apporter dans le futur, car c’est déjà là. Vous n’êtes pas opérationnel à 100% ? Ça viendra.
 
Si vous êtes impliqué dans votre travail, et que vous le faites au mieux de vos capacités, vous savez dès le départ si l’outil est sérieux ou pas.
 
Il est fort possible qu’on n’écoute pas votre avis (voire qu’on ne vous le demande pas).
Il est aussi vrai que vous pouvez parfois, découragé par l’ogre, vous montrer de mauvaise foi, voire de mauvaise volonté.
Mais au fond de vous, là où vous avez envie de bien faire et d’être apprécié pour le travail que vous faites, vous savez ce qu’il en est. Est-ce un outil utile ? Prenez-le. Testez-le, perfectionnez-le si besoin. Il ne l’est pas ? Laissez les autres s’en servir.
 
Une sorte de résistance passive mais communicante.
 
Expliquez à l’ogre pourquoi cet outil ne vous apporte rien. Soyez précis, donnez des exemples, argumentez. Si vous le pouvez, expliquez lui où et comment il peut l’utiliser.
Il en a besoin ? A lui de s’en servir alors.
Il ne vous trouve pas assez productif ? Démontrez lui que le temps que vous passez à le satisfaire est contre productif. Vous agissez selon ses instructions, et il vous reproche de ne pas faire (d’)autre(s) chose(s) ? Prenez-le au mot et faites ces autres choses).
 
L’ogre ne vous écoute pas ? Regardez ce que VOUS pouvez faire et n’attendez pas qu’il change, à moins d’être doté d’une patience sans limites et d’une endurance à toute épreuve. Prenez le temps de regarder les choses sous un autre angle. Quelles sont vos possibilités d’action ? Si vous avez l’impression de n’en avoir aucune, c’est que vos peurs (et la pression de l’ogre) ont construit un mur d’obligations autour de vous.
Changer de point de vue ne ressemble parfois qu’à dépasser nos peurs et les « c’est impossible ». Vous avez le pouvoir d’agir. Ce ne sera pas forcément une action d’éclat et d’envergure, ni une révolution du jour au lendemain dans votre quotidien. Prenez les étapes l’une après l’autre. Commencez par un petit pas, pour reprendre l’habitude d’agir et d’agir pour vous. Soyez précis dans vos actions, et en concordance avec qui vous êtes vraiment.
L’ogre vous demande d’agir d’une manière qui ne vous ressemble pas ? Soyez créatif. Osez imaginer comment vous pouvez cumuler qui vous êtes et ce que vous faites. Modelez peu à peu votre manière de travailler pour montrer qui vous êtes. C’est cela qui vous rendra la liberté même sans changer d’endroit ou de travail.
 
Il n’y a pas de manière facile de mettre un ogre au régime. Il ne s’y contraindra jamais de lui-même. D’ailleurs pourquoi le ferait-il ? Nous le nourrissons en continu, avec le meilleur prétexte du monde : si je ne le fais pas, quelqu’un d’autre le fera, et c’est lui qui aura la reconnaissance que je cherche.
 
C’est une illusion.
 
Acceptez que le problème ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur (car alors vous pouvez agir). Ça fait 6 mois, deux ans ou quarante ans que vous attendez cette reconnaissance ? Acceptez le fait qu’elle ne viendra jamais de l’extérieur, tant que vous ne serez pas convaincu de la mériter, à l’intérieur.
 
Prenez votre liberté et votre responsabilité. Aujourd’hui je décide de ne plus nourrir l’ogre. Peu m’importent que les autres le fassent, c’est leur liberté et leur responsabilité.
 
Je ne peux pas agir pour les autres ou les contraindre à changer, mais j’ai un pouvoir immense, celui d’agir sur moi, et vous verrez, ça change tout !
 
 

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