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Azyolh

Azyolh - Sandrine WALBEYSS

Azyolh réfléchissait. Assis au bord de l’eau, il repensait à sa jeunesse.

Fils d’agriculteurs, il avait passé son enfance dans les champs d’Azyrie. Rien que ce terme était un voyage en soi. Région la plus aride d’Uhnythais avec les Contrées Sud, l’Azyrie était couverte à soixante-dix pour cent par une savane désertique où ne poussaient que les dunes, les cactus et les pierres. Mais les contreforts des Monts Dorés et les rives du fleuve Izar abritaient la vie.

Une vie foisonnante, où les animaux marins se mêlaient à ceux de la terre. Autour d’Izara, la capitale azyrienne, tout était possible. Ville aux multiples visages, elle formait avant tout un melting-pot où les voyageurs de la Mer Intérieure débarquaient pour s’enfoncer dans le Continent. Polymorphes et ondins vivaient au contact des humains sans que personne ne s’en émeuve. Laisser une trace brillante derrière soi ou avoir des écailles sur le crâne n’était pas plus inhabituel qu’être roux ou porter des lunettes.

Il se demanda à quel moment tout cela avait changé. L’invasion de l’Azyrie par son voisin indélicat avait accéléré le processus, mais tout avait commencé bien plus tôt. Quelque part dans le passé, un équilibre avait été rompu.

Celui de sa famille, d’abord. Lorsqu’Azyolh avait rencontré Maretinn, il n’avait pas mesuré à quel point elle allait modifier sa vie. La femelle dragon était connue des habitants. Son ombre survolait parfois la ville, et les enfants couraient derrière elle, s’amusant à reproduire chaque virage de son vol élégant. Mais elle ne s’arrêtait pas. Sa présence, comme celle des baleines de la Mer Intérieure, restait inaccessible et rassurante, telle la promesse d’un univers plus grand, mystérieux et intrigant.

Et pourtant, un jour, la femelle dragon s’était posée à côté de lui, au bord du fleuve. Il devait avoir quinze ans. Kurina, l’université azyrienne, était fermée pour les vacances, et Azyolh retrouvait ses habitudes au contact de la nature, loin des livres et des attraits de la ville. Les pieds dans l’eau, il observait les êtres et les plantes. L’arrivée du dragon l’avait surpris. Lorsque l’ombre l’avait englouti, il avait levé les yeux, cherchant le nuage qui s’invitait dans le ciel immaculé. Il avait senti le souffle du dragon soulever ses cheveux, comme une brise légère. Il s’était demandé comment un animal tellement imposant pouvait être aussi délicat. Son atterrissage s’était fait en douceur. Il avait retrouvé le soleil, et elle était installée à côté de lui.

— Bonjour Azyolh. 

Il avait levé les yeux vers elle, étonné qu’elle connaisse son nom.

— Bonjour. 

— Je suis Maretinn.

— C’est vous qui passez au-dessus de la ville. 

— Oui. 

Elle s’était tue quelques instants. Azyolh avait repris sa contemplation du fleuve. Maretinn le regarda.

— Nous avons besoin de toi.

— De moi ? Pourquoi ?

— Le cœur fatigue.

— Quel cœur ?

— Le Cœur Magique de notre planète. Ignores-tu tout de lui ?

Azyolh avait dévisagé Maretinn, puis reporté son attention sur le paysage qui l’entourait.

— Je ne sais pas ce qu’est le Cœur Magique.

Elle avait réfléchi.

— C’est la réserve d’énergie qui alimente la vie d’Uhnythais. Nous puisons dedans lorsque nous en avons besoin, pour nous nourrir, créer ou transformer la vie. Et nous l’alimentons chaque fois que nous agissons dans la joie et l’amour.

Azyolh avait froncé les sourcils.

— Quand nous aimons quelqu’un, ça aide le cœur ?

— Oui et non. Ça dépend de la manière dont tu l’aimes. Ce qui renforce le cœur magique, c’est l’amour universel, celui que nous offrons au monde simplement parce que nous pouvons le faire. Un amour qui n’attend rien en retour et qui est librement répandu. Cet amour-là, vois-tu, peut prendre des centaines de formes différentes. Sourire à quelqu’un est un geste d’amour. Porter le sac d’un vieil homme est un geste d’amour. Regarder la personne qui est en face de toi quand tu danses est un geste d’amour.

— Mais ce ne sont que de petites choses.

Elle avait ri.

— C’est cela le problème du Cœur Magique. Tout le monde veut le sauver, mais personne ne veut croire qu’il suffit de milliers de petits gestes pour le faire. Et pourtant, il en a désespérément besoin.

— Qu’est-ce que je viens faire dans cette histoire ?

Elle avait penché la tête pour le regarder dans les yeux.

— As-tu envie de sauver le monde Azyolh ?

Il avait hésité.

— Je ne sais pas. 

Comme elle attendait qu’il poursuive, il reprit.

— Ça a l’air… compliqué. Je ne saurais pas comment faire.

Elle hocha la tête.

— C’est une lourde tâche.

— Je ne sais pas si je serai à la hauteur.

— Tu ne seras pas seul.

— C’est vrai ? 

Elle avait ri de nouveau devant son soulagement.

— Évidemment. Ce dont j’ai besoin, c’est de trouver des personnes qui relaieront le message du cœur. Qui diffuseront l’information, pour que les petits gestes s’installent. Aujourd’hui, le cœur est trop sollicité. Tout le monde puise en lui, mais plus personne ou presque ne l’alimente. Nous devons inverser la tendance.

— Mais comment faire ?

— Transmettre le message. Agir avec le cœur. Le tien et celui de la planète. Rééquilibrer les flux d’énergie par de petits gestes anodins. Les humains disent qu’une goutte d’eau peut faire déborder un vase. Alors, imagine ce que des milliers de gouttes peuvent faire. » 

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