Première expérience, intuition ou logique ?
L’un des livres qui ont changé le cours de ma vie s’appelle « Dessiner grâce au cerveau droit » (de Betty Edwards). Elle y explique que notre cerveau est composé du cerveau droit (qui commande notre main gauche), intuitif et spatial, et du cerveau gauche (qui commande notre main droite), logique et organisé. Elle propose un exercice surprenant pour constater par nous-mêmes la différence entre ces deux parties de notre anatomie.
Depuis, j’ai suivi des conférences de Baptiste Michel qui réfute ce partage en hémisphères tout en reconnaissant la double qualification du cerveau. Comme il a l’air de savoir de quoi il parle (ses références bibliographiques sont sérieuses) et que cela correspond à mon expérience, j’utilise maintenant la part logique (à la place du cerveau gauche) et part intuitive (à la place du cerveau droit).
Prenez un dessin figuratif au trait (par exemple celui qui illustre cet article*), imprimez-le et redessinez-le sur une feuille. Pour ceux chez qui, comme moi, la part logique commande, le résultat n’est en général pas terrible. Car la part logique aime les cadres, savoir où va chaque chose, pouvoir catégoriser chaque parcelle de connaissance. Pour elle, un nuage est une forme moutonneuse dans le ciel, une maison un rectangle avec une porte, des fenêtres et un toit. Maintenant, placez à l’envers le dessin d’origine (toujours visible, mais inversez le haut et le bas), et dessinez-le sur une nouvelle feuille. Quand vous avez terminé, remettez les deux dessins dans le bon sens et comparez. Le résultat est bluffant. En supprimant les repères de la part logique qui n’arrive plus à distinguer ce qui est dessiné et à le nommer, elle laisse le champ libre à la part intuitive, découragée par les lignes et traits inclassables. La part intuitive, elle, est dans son élément. Elle observe les contours, les espaces, la relation entre les composants, les ombres et les lumières. Et elle retrace, morceau par morceau, chaque parcelle de sa perception, sans s’attacher au résultat final.
Cet exercice a été un formidable révélateur. Ma part logique a compris ce qui se passait et pourquoi elle n’était pas performante dans cette activité. Elle a aussi réalisé que si les deux parties de mon cerveau fonctionnaient parfaitement, elles manquaient d’harmonie. La part logique était aux commandes, et elle ne laissait la place que quand la tâche à effectuer la rebutait, la lassait ou ne l’inspirait pas. À ce moment-là, la part intuitive, ravie d’avoir un peu d’espace, prenait le relais. Un processus aléatoire et bancal, où la part intuitive pouvait se retrouver à gérer des informations à classer (ce qui n’est pas de son ressort), ou des choses à expliquer (ce qui ne l’est pas non plus, même si elle peut se débrouiller, ce qu’elle fait alors avec enthousiasme et énergie, mais sans organisation) et où la part logique devait percevoir son environnement global (ce qu’elle ne sait pas faire, elle analyse chaque détail et le pose ensuite à côté des précédents) et créer (ce qu’elle peut faire, mais où elle est limitée par le passé, car elle reproduit ce qu’elle connaît). Une situation inconfortable, pour l’une comme pour l’autre.
À partir de ce moment-là, j’ai décidé d’agir. D’observer quelle part de moi s’implique à chaque instant. De travailler à les laisser s’exprimer dans les circonstances où leurs aptitudes et capacités sont requises. Ce n’est pas une sinécure, et j’ai encore du chemin à parcourir, mais chaque jour est une victoire, car je progresse, pas à pas.
Et chez vous ? Qui est aux commandes ?
Deuxième expérience, logique ou intuition ?
Ça fait longtemps que je cherche qui je suis. Que je m’observe à travers les autres, et que je me regarde selon leurs critères.
Comme je n’ai plus vingt ans, j’ai beaucoup progressé dans la connaissance de moi-même, de ce qui me convient, ou pas, et de ce qui me fait vibrer. Comme un certain nombre de personnes, je suis passée par le syndrome du sauveur, par celui de l’imposteur, par des problèmes d’ancrage et tout un tas d’expériences que je ne vais pas détailler ici. Mais il y en a un, dérivé du syndrome de l’imposteur, qui me tient compagnie depuis un certain temps. La peur que les autres me voient telle que je suis.
Cette peur, c’est celle d’être rejetée parce que je suis différente, celle d’être mise à l’écart parce que je ne rentre pas dans le cadre. À chaque fois que je pense avoir résolu le problème, une nouvelle expérience se présente, sous un angle différent.
Celle d’aujourd’hui m’étonne, mais elle explique beaucoup de choses.
Depuis quelques semaines, je suis entrée en phase d’écriture intensive. Mon prochain livre avance, mais j’ai aussi besoin de me changer les idées. La lecture est mon loisir favori, mais comment entrer dans l’univers de quelqu’un d’autre alors que je suis immergée dans le mien ? J’ai donc choisi de relire le livre « Dessiner avec le cerveau droit » de Betty Edwards et de refaire les exercices proposés. Passer à une activité « manuelle » me semblait pertinent pour m’aérer l’esprit, mais je n’imaginais pas à quel point.
L’édition de 2004 du livre présente Roger W. Sperry dont Betty Edwards s’est inspirée pour ses ateliers de dessin. J’avais déjà lu ce livre deux fois, mais cette fois, une évidence m’est apparue. Lorsqu’elle explique les différentes capacités des 2 zones du cerveau (la gauche qui commande la main droite, logique, analytique, rationnelle et attentive aux détails, et la droite, qui commande la main gauche, synthétique, concrète, globale et intemporelle), j’avais intégré le fait qu’étant droitière, ma part logique dominait. Et en effet, je peux être organisée, logique et raisonnable.
Pourtant, dans ma vie quotidienne, j’ai souvent constaté que ma logique ne correspond pas à celle des autres. J’ai aussi du mal à retenir les détails, mon mari plaisante souvent sur ma mémoire de poisson rouge. Et hier, en relisant cette partie du livre, j’ai remarqué que mes « symptômes », ceux qui étonnaient mes interlocuteurs ou mes collègues, correspondaient au fonctionnement de la part intuitive, lorsqu’elle essaie de faire un exercice pour lequel elle n’est pas « armée ». C’est alors que je me suis rendu compte de la situation. Tout est devenu clair. Chez moi, c’est la part intuitive qui domine. Cependant, pour ne pas se faire remarquer, elle a tenté de fonctionner comme la part logique pendant des années.
Cela explique pourquoi les années de lycée ont été plus difficiles que celles de collège. L’enseignement y est beaucoup plus théorique, centré sur le raisonnement et les explications logiques dans lesquelles ma part intuitive se sentait perdue. Cela explique aussi pourquoi je ne retiens pas le détail des conversations (en particulier les informations liées à la santé). N’ayant pas de formation médicale, tout cela est trop abstrait pour ma part intuitive qui s’attache à la globalité de la situation et à une synthèse de l’instant présent. Cela explique enfin pourquoi mes logiques de classement (que je trouve parfaites) sont parfois inattendues pour mon entourage. J’ai du mal à appliquer des règles toutes faites de A à Z. Ce que j’aime, c’est m’approprier les informations et les utiliser à ma manière.
Quant à savoir ce qui se passe pour l’écriture… il est fort probable que, là aussi, ce soit la part intuitive qui domine. Pourquoi ? Parce que personne n’a jamais détecté le moindre don pour l’écriture pendant ma scolarité. Le système scolaire, tel qu’il est construit aujourd’hui (et depuis des décennies), est adapté pour le fonctionnement de la part logique. En France, pays de Descartes, la raison prime. Il faut donc être logique et ordonné. Savoir reproduire des suites d’actions fidèlement pour obtenir un résultat.
Mon écriture s’est développée avec ma recherche personnelle. Mon style est synthétique et global, comme ma perception du monde. Les longues descriptions de paysages ou les détails précis des ornements décoratifs me sont inconnus. J’esquisse une ambiance, un aperçu, et j’installe mes histoires.
Et de quoi parlent-elles ?
De cheminement personnel bien sûr !