Aller au contenu

Le voyage de Jean-Jacques

Jean-Jacques fait des efforts.

Ça fait longtemps qu’il connaît sa sensibilité à l’injustice, aux grands élans de solidarité et à l’exclusion. Il lui arrive souvent de verser des larmes dans des situations que la plupart des gens regardent sans émotion apparente.

Jean-Jacques a d’abord cru que le monde dans lequel il vivait était trop brutal pour lui. Comme s’il venait d’un pays de douceur et de bienveillance dont il n’aurait plus qu’un vague souvenir. Il était révolté par la moindre petite injustice. L’équité n’est pas un vain mot pour lui, et il a toujours fait beaucoup d’efforts pour ré équilibrer les choses.

Il a donné à des œuvres caritatives, il a fait sa part dans des associations. Il a cherché à comprendre l’histoire, à savoir comment l’humanité en était arrivée là. Il a lu des centaines de livres, la plupart très intéressants, mais s’il y a trouvé des informations, il n’a pas trouvé la réponse à ses questions.

Il a voyagé, d’un bout à l’autre de la terre, ou presque, pour voir comment vivaient les autres. Malgré les différences de langues et de culture, il a fait le même constat partout. L’injustice et l’exclusion sont universelles, mais l’élan collectif aussi.

Il a pleuré en entendant les hymnes dans un stade de football, ou en voyant le talent d’un candidat d’une émission de télé reconnu et applaudi par le jury. Les larmes ont souvent coulé dès que quelqu’un, de réel ou dans une fiction, allait chercher au fond de lui une vérité enfouie.

Jean-Jacques a toujours aimé la musique. Le pouvoir d’une mélodie ou de quelques notes est apaisant, transcendant, l’emmenant dans un voyage immobile aux portes de ce qu’il cache à l’intérieur.

Il a souvent fait le voyage. Les heures passent si vite lorsque la musique est là. Il en a aussi joué, dans des groupes et des concerts, mais il n’était pas tout à fait à sa place. C’était une belle expérience, un partage avec les autres. Les autres musiciens, sur scène, et les spectateurs, dans la salle. Mais il n’a jamais aimé les loges. Cette avant-scène qui bruisse d’agitation et d’une joie teintée de stress, qui se transforme après le concert en un retour brutal à la réalité, entre le démaquillage et la solitude. Passer de la lumière à l’ombre en un temps si court a toujours été difficile pour lui.

Et puis un jour, Jean-Jacques a compris que c’était lui qui faisait le voyage. Il n’était pas le spectateur  d’une vie qui se passerait autour de lui. Il était au contraire le scénariste, le metteur en scène et l’acteur. Ouf. Quelle révélation ! Si je me plains du temps qu’il fait il ne tient qu’à moi de changer le décor. Si les répliques des acteurs me mettent mal à l’aise, je peux récrire le texte. Et si les acteurs ne me plaisent pas… Aïe !

Le seul acteur de tout cela c’est lui-même. Alors Jean-Jacques a retroussé ses manches, pour améliorer son jeu. Il a rencontré des professeurs différents, pour trouver les techniques adéquates et lâcher prise. Lâcher les peurs, les angoisses, les rigidités, les contraintes.

Il a fait beaucoup d’effort dans ce voyage. Il a persévéré, contre vents et marées, lorsque d’aucuns lui disaient qu’il s’épuisait pour rien, qu’il ferait mieux de rentrer dans le cadre et de s’adapter au monde qui l’entourait.

Aujourd’hui Jean-Jacques est fatigué. Il sent bien qu’il a progressé, mais le voyage qui lui reste à faire est terrifiant. C’est le fond du puits, une noirceur qui l’attend depuis longtemps. La source de toutes ses larmes et de toutes ses émotions.

Jean-Jacques a peur, et il a l’impression que tout ce qu’il sait n’est pas assez fort pour l’aider à passer le cap. Il retombe dans ses peurs les plus profondes, celles qui lui disent qu’il n’est pas parfait, qu’il n’a pas réussi et qu’il n’y a pas de raisons que ça change.

Jean-Jacques ne sait pas comment faire. Il n’arrive pas à alléger le poids qui pèse sur son cœur et dans son âme. Il ne peut pas croire que tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il a fait s’applique aussi à lui.

Jean-Jacques accueille les autres inconditionnellement. Il a parfois des désillusions, mais il persévère, persuadé que chacun fait du mieux qu’il peut. Toi aussi Jean-Jacques.

Jean-Jacques aime les gens. Il voudrait tant trouver la force d’unifier chaque conflit, d’aider les adversaires à aller puiser au fond d’eux la synthèse de toutes leurs vérités.  Ni mieux ni moins bien que les autres, complémentaires. Chacune accueillie dans le creuset de l’unité. Toi aussi Jean-Jacques.

Jean-Jacques sait qu’il existe quelque chose de plus grand que nous, un endroit de paix, d’amour et de bienveillance où nous avons tous une place. Toi aussi Jean-Jacques.

Si bien entouré, malgré ses incertitudes et ses peurs, Jean-Jacques a grandi. Pas physiquement, à son âge, ça ne se fait plus, mais moralement. Son âme d’enfant a retrouvé la joie du chemin et la confiance en la vie. L’obstacle qui lui faisait si peur dépasse à peine la taille d’un rocher, et il diminue à vue d’œil.

Le voyage de Jean-Jacques n’est pas fini, mais il s’allège à mesure que les peurs sont dépassées. Jean-Jacques se rappelle doucement qu’il est le scénariste, le metteur en scène et l’acteur de sa vie.

C’est décidé il commence une nouvelle pièce. Sans peurs et sans fuites. Une pièce lumineuse et joyeuse. Et par-dessus tout, une pièce dans laquelle il pourra donner la mesure de lui-même. Explorer sa personnalité et utiliser tous ses talents et toute son expérience. Tous les moments qu’il a vécus lui ont enseigné quelque chose, et s’il ne sait pas encore ce que c’est, il est prêt à le découvrir.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Sandrine WALBEYSS

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading