Malgré la frilosité (et l’absence de soutien) de mon éditeur à l’égard des salons du livre, l’idée d’y participer me tentait depuis quelques mois. Avoir un livre publié, c’est bien, savoir que des gens le lisent, c’est super, mais les rencontrer c’est encore mieux, même pour une grande timide comme moi.
Au printemps, j’avais vu un article sur la première édition d’un festival régional organisé à l’automne dans une autre ville de mon département. Ce n’était pas si loin (1h30 de route), et l’occasion (pensai-je) de croiser des lecteurs. Premier contact téléphonique avec l’organisatrice, qui m’explique, très gentiment, qu’elle a déjà fait le plein d’auteurs et que je serai sur liste d’attente, compte tenu des contraintes sanitaires actuelles. J’envoie tout de même mon dossier d’inscription, persuadée que si je dois y participer, une place se libèrera.
Le temps passe, j’ai noté la date dans un coin de mon esprit, mais d’autres choses m’occupent. Début septembre (six semaines avant la date prévue pour le salon), je recontacte l’organisatrice car je devrais commander des exemplaires auteur pour la manifestation si j’y ai ma place. Bonne nouvelle, je fais partie des auteurs retenus.
Ce sera mon premier salon comme auteure, et je n’en ai pas fait beaucoup comme lectrice.
La faute à une grande timidité, qui m’empêche parfois (souvent ?) d’aller vers les gens ou qui m’a fait acheter par le passé des livres (mais pas seulement) qui ne m’intéressaient pas forcément parce que l’auteur avait de l’aplomb et que je ne savais pas dire non. Avec les années, j’ai progressé, mais ça reste un exercice difficile. D’ailleurs, je me suis rendu compte qu’avoir la signature de quelqu’un que je ne connais pas sur un livre ou un disque me touche peu. Ce que j’attends, c’est une histoire, une aventure, un voyage avec les mots ou les notes. Pendant des années, j’ai donc flâné tranquillement dans les librairies ou les bibliothèques, à mon rythme.
Pourtant, en septembre, je suis allée aux Aventuriales de Ménétrol, et mon avis a évolué. J’y ai rencontré beaucoup d’auteurs et d’éditeurs, dont les ouvrages ne sont pas forcément disponibles en librairie ou en bibliothèque. Et puis, finalement, des années de psychothérapie et de développement personnel ont porté leurs fruits. J’arrive à dire non plus facilement, et ça, c’est une grande victoire.
Je me prépare donc pour le salon. Passer de l’autre côté de la table est une aventure en soi. Imaginer ce qui peut intéresser les lecteurs potentiels, comment leur donner quelques informations pour qu’ils puissent se faire un avis sur le livre. Timide moi-même, j’ai pensé à ceux qui n’oseraient peut-être pas poser de questions. Et je savais aussi que je ne me transformerais pas en commerçante prête à arrêter les badauds par mon bagout d’un coup de baguette magique.
J’arrive le matin du salon, un peu intimidée par tous les auteurs présents. La plupart ont plusieurs livres à présenter, et surtout l’air de savoir où ils vont. Je repère que chaque auteur a son nom sur la table qu’il occupe, et je cherche donc le mien. Il est au bout de la deuxième salle, à une place d’une jeune illustratrice déjà installée. Elle m’accueille avec le sourire, nous commençons à papoter, ouf, tout va bien. Notre voisin commun arrive, il est charmant, avec des tas d’histoires à raconter. Un autre auteur prend la place libre à ma droite, nous échangeons quelques mots, c’est aussi son premier livre, mais pas son premier salon. Je suis bien entourée, prête pour la journée.
La matinée se passe, peu de visiteurs. Nous en plaisantons un peu entre nous, imaginant les raisons de cette absence de public. Les optimistes nous disent que l’après-midi sera plus animée, et en effet, elle l’est, dans une certaine mesure. Mon voisin de gauche vend le premier livre de la rangée à quelqu’un de sa connaissance, puis quelques personnes achètent le très joli album de l’illustratrice. L’après-midi s’étire. Peu de visiteurs s’intéressent à mon roman imaginaire, mais ma feuille où est imprimée « j’espère que vous aurez autant de plaisir à lire mes histoires que j’en ai à les écrire » me vaut quelques larges sourires, entre amoureux de la lecture, un courant de fraternité passe.
La première journée est terminée. Un bilan rapide nous apprend que les autres auteurs sont aussi dépités que nous. Les plus chanceux ont réalisé quelques ventes, nous sommes plusieurs à ne pas avoir démarré le compteur. Je m’étais levée tôt, la fatigue de la journée est là, et le moral vacille. Les optimistes nous disent que le dimanche sera plus propice. Les pessimistes rangent leurs affaires, ils ne reviendront pas demain.
Le dimanche matin, j’arrive à l’heure prévue, un peu requinquée par une nuit complète et retrouve avec plaisir mes collègues de salon. La matinée est un peu animée, les visiteurs s’attardent plus que la veille sur les différentes tables, l’ambiance s’allège. De mon côté, toujours aucune vente. Un monsieur s’approche, observe ma présentation, le livre. Il a l’air circonspect. Je lui dis : c’est un roman fantastique. Il me regarde et répond : la vie est trop courte pour ça, en montrant le livre de la main. Désemparée, je le regarde partir. C’est sa vision et je la respecte, malgré tout, à ce moment-là, mon moral en prend un coup. Un peu plus tard, une femme s’approche. Elle contemple le livre, lit avec attention la quatrième de couverture, prend le roman pour le feuilleter. Elle l’ouvre à plusieurs pages. J’essaie de ne pas la fixer, mais j’attends le verdict. Et le couperet tombe. Elle me dit, très gentiment : l’histoire a l’air bien, mais la mise en page, je suis désolée, je ne pourrai pas le lire. Je lui réponds : je comprends. Elle s’éloigne, et mon moral part avec elle. Là, je ne peux pas lutter. La mise en page, c’est le privilège de l’éditeur. Pour des raisons qui lui appartiennent, il a fait le choix de cette présentation. C’est ainsi et nous sommes dans le même bateau. Mais à cet instant, l’idée de quitter le navire me traverse l’esprit. Je n’arrêterai pas d’écrire. J’ai passé si longtemps à chercher ma passion, que je continuerai même si personne ne me lit, mais à quoi bon mettre autant d’énergie dans la recherche d’un éditeur et la présence en salon si cela n’intéresse personne ?
L’illustratrice continue ses dédicaces, elle a un talent fou et je suis contente pour elle. Je plaisante sur l’idée de me mettre au dessin pour intéresser les lecteurs, mais mon imaginaire tourne déjà à plein régime. Le problème des auteurs, c’est qu’ils ont une imagination fertile pour créer des situations à partir de rien. Je me dis que les salons généralistes ne sont pas faits pour ce style de romans, que les Bourbonnais aiment mieux les romans de « terroir », je me demande ce que je fais là et ce que je vais faire de la pile de livres commandés. Il est midi. Je prends l’air en allant chercher un sandwich, histoire de tenir pour les quelques heures qui restent.
Début d’après-midi déprimant, à l’image de mon humeur. Le salon est désert ou presque. Puis quelques visiteurs arrivent. Un groupe de femmes fait le tour des stands. Elles observent, touchent, discutent. Rien que de les voir, mon moral remonte. Ce sont des lectrices. Elles prennent le temps de dire bonjour, argumentent entre elles. Deux d’entre elles s’intéressent à mon livre, je sens bien que les autres y sont moins sensibles. Ce n’est pas grave. Au point où j’en suis… Je garde leur sourire, sans me faire d’illusions sur la suite. Elles repartent, et d’autres personnes arrivent. Deux femmes, qui engagent la conversation avec mon voisin. Elles font partie d’un atelier d’écriture. L’une d’entre elles a un roman en cours. Elle nous parle à demi-mots de ses difficultés. Je rejoins la conversation, donne quelques idées pour changer de point de vue, complète les conseils de mon voisin. Je sens chez elle une grande sensibilité et la volonté de traduire dans son texte les images qu’elle a dans la tête. Je connais bien le processus et le découragement lorsque, parfois, le rendu n’est pas à la hauteur. Nous discutons quelques minutes, elles repartent un peu plus légères, et je garde ce baume de fraternité qui fait du bien. Une autre surprise continue de me pousser sur la pente de l’optimisme. Ma maman passe au salon. Mes parents ont toujours été là, dans toutes mes aventures. Ils sont mes premiers lecteurs. Retrouver ma mère ici, c’est un joli cadeau.
Nous arrivons au milieu de l’après-midi, et je n’ai toujours vendu aucun livre. J’en ai pris mon parti. Le carton est sous la table, prêt à accueillir les exemplaires qu’il contenait hier. Je me dis que si le salon du mois prochain est à l’avenant de celui-ci, il faudra que je trouve un endroit pour les stocker à la maison. Et puis, quelques femmes du premier groupe arrivent. L’une d’entre elles dit : c’est celui-ci que je veux, en montrant mon livre. Son amie lui répond : tu es sûre ? Ce n’était pas celui-là, je ne me souviens pas de la couleur. La première insiste : si, si, c’est celui-là. Et je fais ma première vente.
Je ne sais pas si Hélène a réalisé à quel point sa détermination à acheter mon livre était importante pour moi. Moi, je me souviendrai longtemps, j’espère, de ma première dédicace en salon et du rayon de soleil qu’elle a représenté. C’est pour toutes les Hélène que je continuerai de venir en salon. Et je n’espère qu’une chose, c’est qu’elle aura autant de plaisir à lire mon histoire que j’en ai eu à l’écrire.
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