En mai 2022, je suis tombée sur une affiche qui m’a interpellée. Comédie musicale de Sanssat, Priscilla folle du désert. Le 4×3 m’invitait à un voyage haut en couleur et en musique. Ni une ni deux, de retour chez moi, je cherche plus d’infos. La bande-annonce de la comédie musicale m’enchante, et Sanssat n’est pas très loin. Parfait, j’achète deux places pour y aller avec ma fille (mon mari n’est pas très fan de ce genre de soirées). Quelques semaines plus tard, nous y sommes.
Une ambiance chaleureuse et conviviale nous attend. Le village s’est mis en quatre pour accueillir le spectacle, comme tous les ans. Je découvre avec stupeur que les productions ont démarré en 1998, et qu’elles s’enchaînent depuis, portées par des bénévoles investis. À la fin de la soirée, nous repartons, la tête pleine d’étoiles et de musiques. Une graine est plantée.
À l’automne 2022, je me lance. J’ai envie de participer. J’ignore sous quelle forme, mais je reconnais l’élan. Pour une première fois, je rejoins d’autres volontaires à la buvette. Je fais connaissance avec les rouages de l’organisation. Une aventure titanesque pour tout gérer, de l’accueil parking aux décors. Je découvre les personnes. J’observe la fourmilière qui s’active derrière la scène. Chacun a sa place et sa fonction, mais l’ensemble est vivant. Besoin d’un coup de main à l’entracte ? Les acteurs servent les crêpes. Rien n’est figé.
Cet automne, un nouveau spectacle se prépare pour 2024. L’occasion d’aller plus loin. De tenter l’aventure de la scène. J’ai l’impression que toute ma vie m’a menée à cette participation. Musique, danse, théâtre. J’ai multiplié les expériences. Écoutant une amie raconter l’école de comédie musicale qu’elle avait suivie plus jeune, je m’étais dit « quelle chance ». Alors cette fois, c’est la mienne. Sanssat n’est pas à côté, mais ce n’est pas si loin. J’ai déjà parcouru plus de kilomètres pour des répétitions. Oui, mais tu avais vingt ans. J’ai testé les allers-retours sur deux jours l’an dernier pour la buvette, et ça s’est bien passé. Oui, mais tu n’as pas dansé. En plus, ça fait des années que tu n’as pas fait ça. C’est comme la bicyclette, ça ne s’oublie pas. Hm, si tu le dis.
Écartant mes doutes, j’envoie un courriel à l’association. Je ne veux pas renoncer avant d’avoir essayé. Les auditions ont lieu quelques jours plus tard. J’y vais. L’ambiance me plaît. Concentrée pour suivre la chorégraphie, j’oublie le reste. J’observe mon corps. Il résiste bien. Pas de douleurs particulières. Au ralenti, pas de problème, je comprends les gestes et les postures. À vitesse réelle, c’est plus compliqué. Il y a longtemps que je n’ai pas fait ce genre d’exercice. Mais je m’accroche. Je sais que j’ai besoin de répéter beaucoup pour que les mouvements deviennent fluides. Le résultat n’est pas parfait, mais peu à peu, j’améliore un passage, puis un autre. À la fin de l’audition, je suis en nage, mais bien. J’ai aimé l’attention et le professionnalisme du metteur en scène et des chorégraphes. Je rentre chez moi. Finalement, le temps de route me permet de redescendre dans mon quotidien. D’évacuer le surplus d’énergie que m’a donnée la danse. Et de commencer à cogiter.
Car j’ai bien senti le niveau d’exigence attendu, et il dépasse mes capacités actuelles. Je te l’avais dit. Ça m’est déjà arrivé plus d’une fois, et je sais qu’avec un peu — beaucoup — de travail personnel, je rattraperai mon retard. Une question se pose : ai-je le courage et l’envie de mettre cette énergie au service de la comédie musicale ? Je te rappelle que tu as déjà l’écriture de romans, la création des cartes et jeu de développement personnel, le nouveau boulot qui se profile, ta fille, la maison (tu n’es déjà pas une fée du logis), le jardin (tu as vu l’état de ton potager ?), tu es sûre que tu veux t’en rajouter une couche ? Mon mental s’engouffre dans la faille de mes doutes et liste tout ce qui pourrait m’empêcher de suivre l’élan du cœur. Je m’endors en me disant que je m’adapterai. Si je suis retenue, je m’efforcerai de tenir la distance. Et si je ne le suis pas, tant pis. La buvette, c’était sympa.
Le lendemain, mon cœur saute de joie en lisant le message du metteur en scène. « Nous serons ravis de t’accueillir pour un essai sur quatre séances ». Ils ont senti mes difficultés sur la vitesse d’intégration, mais ne ferment pas la porte. Soulagée, je trouve l’idée parfaite. Un peu plus de temps pour voir si ça marche. Et pour retrouver mes doutes. Les entraînements commencent dans trois semaines. Une éternité que mon mental s’emploie à combler. T’es fatiguée là, Sanssat, c’est mal barré. Des événements extérieurs les renforcent. Oui, ben sans voiture, ça va pas être facile.
Mais, dans l’intervalle qui sépare les auditions des répétitions, deux coups de pouce de l’univers m’aident à mettre mes idées au clair. Un portail live d’Issâ Padovani (Être créateur de sa vie) et le film Voyage au cœur de soi de Cécile Hessler. Un exercice surtout. Fermer les yeux, penser à une décision et observer la réaction du corps. L’élan du cœur se traduit par une ouverture. Une invitation à la joie et à la découverte. L’élan de la tête et de la raison se manifeste par une fermeture. Un repli sur les peurs et les conditionnements.
Je ne sais pas pour vous, mais mon mental est le champion toutes catégories du oui, mais, des il faut et de sa variante il ne faut pas, des tu dois et tu ne dois pas, sans oublier le ça ne se fait pas… Et il démarre au quart de tour. À peine ai-je pensé à prendre une tasse de chocolat chaud qu’il liste les risques. Tu es certaine de ne pas vouloir du thé ? C’est plus rapide à préparer, il y a moins d’ingrédients et la bouilloire chauffe toute seule. Il joue même sur mes tocs. Comme ça, tu pourrais faire autre chose pendant que ça bout. Alors que ton chocolat, il faut le remuer en permanence.
Mais je possède un outil en or. Je ferme les yeux et pense à la comédie musicale. Tout s’ouvre. Mes pieds me démangent et j’ai hâte d’y être. Élan du cœur validé. J’envisage d’annuler ma participation. Tout se ferme. J’ai mis ma spontanéité sous le tapis et je suis en train d’installer un bahut normand pour m’assurer qu’elle ne bouge pas. Les peurs ont pris le dessus. Le choix est simple.
Évidemment, j’ignore comment ça va se passer. Pour la première fois, je vais découvrir les autres danseurs. Ils sont tous certainement davantage préparés que moi. Peu m’importe. Justement, ils seront autant d’exemples à suivre, d’inspirations pour progresser. Tout ce dont j’ai envie, c’est de m’amuser. Si cela dure quatre semaines, c’est parfait. Et si c’est plus ? Ce sera encore mieux !