Main tendue
« Suivant s’il vous plaît. » Nicolas se leva, un peu intimidé, et suivit le professeur dans la salle d’examens. Ils n’étaient plus que trois à patienter. Il jeta un coup d’œil aux deux autres. Comme ils avaient l’air jeunes. Il fit rapidement le compte, onze ans déjà qu’il avait son bac, une éternité. Trois réformes étaient passées par là, pas étonnant qu’il se trouve vieux.
Quand la porte se referma derrière lui, il se concentra sur l’épreuve qui l’attendait. L’oral de présentation. En théorie, une simple formalité. En réalité ? Un passage à la douane où il avait l’impression d’arriver sans papiers. Lorsqu’il avait reçu le courrier, il avait presque sablé le champagne, son dossier était accepté. Mais il y avait cinquante-deux candidats admissibles, et seulement trente-deux places. L’oral serait donc décisif pour déterminer la suite de son rêve. Il inspira profondément. Il observa le jury. L’homme qui était venu le chercher, un quadra souriant, portait une chemise rose à motifs de pipes et de tabac sur un jean. Une femme sèche avec des lunettes qui lui mangeaient le visage. Pas une mèche ne dépassait de son chignon. Et pour finir, une autre femme, plus boulotte que la première, mais plus décontractée aussi, avec une tâche de terre sur la manche. Il se concentra et commença sa présentation.
Lorsque Nicolas sortit de la pièce, les trois professeurs se regardèrent.
« Qu’en dites-vous ? » dit l’homme du groupe, Alain, professeur de botanique.
— Pour moi c’est non. » Flûte. Pourquoi fallait-il toujours que Solange le contrarie ?
« Pourquoi ? Je l’ai trouvé plutôt convaincant. » Ouf. Marie-Thérèse était de son côté. Alain respira un peu mieux. Il ne savait pas pourquoi ce jeune homme l’avait autant touché. Peut-être parce qu’il avait failli, lui aussi, suivre une voie différente et qu’il avait eu besoin d’aide.
« Vous avez vu son âge ? Il a plus de trente ans ! Je vous rappelle qu’on n’a que trente-deux places, si on lui en donne une, il va falloir refuser quelqu’un d’autre ». Marie-Thérèse leva les yeux au ciel, un sourire complice à l’attention d’Alain. « J’en vois bien un ou deux que je recalerais sans états d’âme.
— Il n’a même pas un CAP de jardinier, il va avoir un retard fou en connaissances de base.
— Dois-je te rappeler qu’il n’est pas obligatoire d’avoir un CAP ou un BP de jardinier pour s’inscrire au BTSa ? S’il est motivé, et je n’en doute pas, il rattrapera son retard avec quelques lectures bien choisies.
— On ne peut pas tout apprendre dans les livres. » Solange insistait. Pour elle, les primo-arrivants devaient être prioritaires, un point de friction constant avec Alain.
« Il a déjà un maître de stage je te rappelle. Ce n’est pas négligeable. L’an dernier, cinq élèves n’ont pas pu suivre la formation, car ils n’avaient pas trouvé de contrat. » Comme souvent, Marie-Thérèse mettait tout le monde d’accord.
« Ok, vous avez gagné. On l’ajoute sur la liste. »
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