Service à la personne
Je m’appelle Vivienne, je suis gardienne de prison et j’ai cinquante-deux ans.
Ne me regardez pas comme ça, c’est un boulot comme un autre, pas si mal payé et sans risque de chômage, je vous assure. Ce n’est pas contagieux et nous ne sommes pas forcément de tristes sires.
J’ai essayé deux ou trois boulots avant, mais rien qui m’ait convenu. Je connaissais quelqu’un qui travaillait à la maison d’arrêt et il m’a parlé des recrutements, c’est comme ça que j’ai atterri ici.
Au début, j’étais comme vous. La maison centrale, avec les longues peines, m’effrayait un peu. Mais c’est comme tout, on s’habitue. Aux grilles. Aux clés. Aux uniformes.
Maintenant, je m’occupe de la réinsertion des prisonniers. Je ne travaille plus sur place, mais dans un bureau, à l’extérieur. Figurez-vous qu’il m’a fallu presque trois mois pour me refamiliariser avec le brouhaha de la ville, les allées et venues incessantes, la légèreté de la vie.
Je rentrais bien chez moi le soir, même avant, mais ce n’était pas pareil. Là, j’ai eu l’impression de sortir d’une longue période de sommeil. De retrouver la vue, l’ouïe, l’odorat. Les enfants qui jouent dans le parc, l’odeur des crêpes du marchand ambulant au bout de la rue, toutes les petites choses qu’on ne remarque plus, mais qui donnent du relief à la vie.
Du coup, ça m’aide à comprendre ce que vivent les prisonniers que j’accompagne. Pour eux, c’est un stade au-dessus, ils ont été enfermés jour et nuit pendant des années, ça laisse des traces. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas le faire, d’autres sont plus à même d’en juger que moi. Simplement, à mon niveau, je dois préparer leur réinsertion, pour éviter les récidives et les problèmes.
Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’un détenu que j’ai aidé. Mon premier cas de réinsertion. C’est avec lui que j’ai découvert que Dieu était une femme. Il s’appelle Denis.
La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé détendu. C’était inhabituel chez un détenu pas encore sorti. Après quelques échanges sur son futur emploi et les modalités de contrôle, je lui posais quelques questions, car son dossier indiquait des formations et des centres d’intérêt divers.
« Vous aimez la philosophie ?
— Moyennement.
— Pourtant vous avez pris de nombreux ouvrages de ce genre à la bibliothèque. Vous ne les avez pas lus ?
— Oh si.
— Pourquoi les lire s’ils ne vous plaisent pas ?
— Elle aime qu’on ait de la conversation.
— Qui ? »
Je feuilletais vainement son dossier pour trouver qui venait le voir. Une femme ? Une mère ? Une visiteuse de prison ?
« Dieu. »
Dieu ? Je relevais la tête, surprise. Il me regardait avec un sourire.
« Vous ne vous attendiez pas à ça, n’est-ce pas ? Vous ne pensiez pas qu’un type comme moi aurait la visite de Dieu. »
À vrai dire, ce n’était pas cette partie-là qui avait attiré mon attention.
« Vous avez bien dit qu’Elle aimait la conversation ?
— Oui.
— Vous voulez donc dire que pour vous Dieu est une femme ?
— Oui.
— Et vous lisez de la philosophie pour lui faire la conversation ?
— C’est ça. »
Il avait pourtant l’air sain d’esprit. Il avait été très précis dans ses réponses et rien ne laissait penser qu’il pourrait avoir un trouble du comportement.
« Quand La voyez-vous ?
— Oh, seulement quand je dors. Elle est très occupée.
— Vient-Elle tous les jours ?
— Non, c’est variable. C’est pour ça que j’ai le temps de lire entre deux visites. Au fil du temps, j’ai découvert ses auteurs préférés.
— Pensez-vous qu’Elle va continuer à vous rendre visite à votre sortie ?
— Je ne sais pas. J’ai peur de Lui poser la question. Si j’ai d’autres personnes avec qui discuter, Elle n’aura pas de raison de revenir. Elle ne fait ça que pour me rendre service, pour éviter que je me sente trop seul, vous comprenez ? Mais Elle me manquera, c’est sûr. »
————————-