Entre-deux
Moi, c’est Christophe, quarante-cinq ans, au chômage depuis trois ans.
Au début, je ne me suis pas inquiété. Je suis travailleur et j’étais certain de retrouver un emploi rapidement. Avant d’être licencié, j’ai bossé vingt ans dans une usine de fabrication de serrures. J’étais dans le service haut de gamme, au bureau d’études. C’est moi qui concevais les serrures en or des palais et des hôtels.
J’appréciais mon travail. J’aime le dessin et la résolution des problèmes techniques. C’était une grosse entreprise et beaucoup d’entre nous travaillaient en famille. C’est là que j’ai rencontré ma femme Françoise. Elle était comptable.
Quand l’entreprise a fermé, nous avons été des centaines à chercher un emploi. Heureusement pour nous, Françoise a retrouvé un travail rapidement dans un cabinet comptable et la prime de licenciement nous a permis de finir de payer la maison.
Pour moi ça a été plus compliqué. Nous étions une quinzaine au bureau d’études et dans une petite ville comme la nôtre, il n’y avait pas autant de places disponibles. Seuls deux d’entre nous ont retrouvé du travail, et pas dans la région. Les plus jeunes, sans attaches, sont partis. Pour nous, les anciens, c’est plus difficile.
Avant mon licenciement, je pensais que quarante ans était un bel âge. L’âge de raison. Celui où on a suffisamment d’énergie et d’argent pour faire ce qu’on veut. Mais depuis trois ans, chaque année supplémentaire pèse le double.
J’ai bien travaillé ici et là, en intérim ou avec des contrats courts. Dans le bâtiment, la sécurité, l’hôtellerie… Au bout d’un an, j’ai arrêté de chercher uniquement dans mon domaine. Mais ce n’est pas plus facile. Comme je n’ai pas d’expérience ou de qualification, je suis payé au minimum et s’il y a quelqu’un de plus qualifié qui se présente, je n’ai aucune chance.
Et ce ne sont ni mon sourire ni ma motivation qui changent les choses, je vous l’assure.
Alors Dieu et l’au-delà, vous comprendrez que ce n’est pas ma priorité. Je suis entre les deux. Pas assez riche pour avoir le temps d’y croire et pas assez pauvre pour avoir besoin d’y croire.
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