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Le rêve de Nicolas – Ch 23

Le rêve de Nicolas, un roman de Sandrine Walbeyss

Olympe

Nicolas était assis dans le bureau. Il tira sur le col de sa chemise, et soupira. Pourquoi fallait-il qu’il soit le premier à passer ? Il ne savait pas s’il devait s’en réjouir ou appréhender la suite. Il ne connaissait pas assez son patron pour deviner s’il préférait se débarrasser du sale boulot le plus vite possible, ou faire l’autruche en attendant que l’orage s’éloigne. Entendant la porte s’ouvrir dans son dos, il se prépara au pire.

« Ah, Nicolas. Oui. » Lambert s’installa dans son fauteuil et prit un dossier qu’il feuilleta, ponctuant le silence de mm et de ahh. Nicolas s’essuya les mains sur son pantalon, sentant l’anxiété monter à chaque borborygme. Au bout d’un moment qui lui sembla extrêmement long, mais qui n’avait pas dépassé cinq minutes selon l’horloge posée sur l’étagère, son patron leva les yeux du document pour le fixer.

Nicolas faillit ouvrir la bouche, mais se retint. Après tout, il n’avait pas demandé à être ici. « Alors Nicolas… heu… tout va bien ? » Sans déc ? Le type me convoque dans son bureau après un discours où il nous dit qu’on va peut-être changer de boulot et il me demande comment je vais ? Ben, non, ça va pas trop, accouche, que je sache au moins à quelle sauce je vais être mangé.

Bernard Lambert observait son jeune employé. Il travaillait ici depuis quatre ans. C’était son deuxième poste, et il était revenu à Marigny pour se rapprocher de sa famille. Un bon élément, parfois tête en l’air, mais consciencieux et volontaire. Il soupira. Il détestait ça. Signer le compromis avec de Larembreux lui avait semblé parfait. Il s’engageait à garder tout le personnel et la boutique. Ce qu’il n’avait pas compris dans le galimatias juridique du contrat, c’est qu’il ne s’engageait pas à les garder ensemble. Et en plus, c’était à lui d’aller au charbon pour faire passer les modifications ! Il n’avait pas voté pour le maire aux dernières élections, et maintenant qu’il avait directement affaire à lui, ou presque, il savait pourquoi. Il regarda Nicolas d’un air navré et s’éclaircit la voix. « Je suis désolé Nicolas, vous allez devoir changer de boutique. » Moi ?

« Pourquoi moi ? 

— Heu… et bien… » Bernard hésita. Jusqu’à quel point pouvait-il être franc ? « Vous comprendrez aisément que Jean et Régis doivent rester ici.

— Oui.

— Et… heu… pour des raisons personnelles, il est préférable que Lucie et Suzie restent aussi. Vous comprenez, n’est-ce pas ? » Des raisons personnelles ? Il se fout de moi ? Ça veut dire quoi ça ? Il a peur qu’elles le mettent aux prud’hommes ou quoi ?

« Non. » Bernard fixa Nicolas. Il était loin d’être bête. Il sourit. Il aurait aimé avoir un fils comme lui. Malheureusement, sa femme était morte depuis trente-cinq ans et il ne s’était jamais remarié. Autant lui dire. Il ne pouvait pas lui donner grand-chose, à part une réponse honnête.

« Écoutez, je ne suis pas censé en parler, mais je préfère vous dire la vérité, vous en ferez ce que vous voudrez. M. le Maire a une fille, Olympe, qui travaille dans une onglerie. Mais cette demoiselle s’est mise en tête de tenir une boulangerie, et comme papa ne peut rien refuser à sa géniale progéniture, il a acheté ma boutique. » Ah. Et ben ça alors ! Nicolas n’en revenait pas. La franchise inattendue de Lambert le laissait sans voix. Lorsqu’il reprit ses esprits, il demanda pourtant. « Mais pourquoi moi ? Je veux dire, je comprends qu’il faut une place pour elle, mais pourquoi moi ? 

— C’est ça le plus drôle, Nicolas, c’est tellement ridicule… je vous promets que vous en rirez, même si ce n’est pas tout de suite. » Ah oui ? J’attends de voir, parce que pour l’instant, je ne trouve pas ça tordant. « La demoiselle en question a un petit ami » Oui, et alors ? « d’une jalousie maladive. » Ah. « Et donc, il est impensable que fifille travaille dans une boutique avec des collègues masculins. » Ah. « Donc, si je résume, il faut que je trouve un autre boulot parce que la fille du nouveau patron est une pimbêche gâtée avec un michto jaloux ? » Bernard Lambert opina du chef. « Je sais, c’est dégueulasse. La seule consolation, c’est qu’il vous propose une place dans deux de ses commerces.

— Ah oui ? Et lesquels ?

— Heu… le magasin de jeux vidéos ou la boutique de cigarettes électroniques. » Voyant la tête de Nicolas, M. Lambert baissa le nez sur ses papiers. « Je suis désolé. » Lorsqu’il releva les yeux, Nicolas allait quitter le bureau. « Vous avez jusqu’à la fin du mois pour vous décider. »

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