L’heure du tri
Nicolas triait le linge pour faire une machine. Réfléchissant à l’anniversaire de son père qui approchait, il vidait les poches automatiquement avant de mettre les couleurs dans le lave-linge. Un bout de papier sous ses doigts le sortit de sa rêverie. « Qu’est-ce que c’est ? » Plissant le front, il le déplia. « Jessica. » Oh merde ! Il l’avait complètement oubliée. Quand l’avait-il vue pour la dernière fois ? Ce n’était pas difficile, le jour où il avait rencontré Salomé. Deux semaines déjà. Qu’allait-il en faire ? Il ne pouvait pas l’appeler. Le jeter ? Non. L’enregistrer sur son portable, au cas où, et détruire le papier.
Après tout ce temps, elle devait de toute façon le considérer comme un mec indélicat et il ne pouvait pas lui donner tort. Mais bon, il ne s’était rien passé. Pas de quoi en faire un plat. Il mit la lessive et choisit le programme. Il regarda l’heure. 9h45. Trop tôt pour aller chercher Salomé à la sortie du cabinet. Il hésita. Il avait une liste de choses à faire longue comme le bras, mais aucune envie particulière. En ce moment, il parait au plus pressé. Ménage, cuisine, repassage. Pour le reste, tout pouvait attendre. Il avait quand même pris sur lui pour cirer ses chaussures, on ne peut pas passer sa vie en baskets. Ses baskets ? Mais oui, c’était parfait ! Samedi matin, il y avait entraînement de badminton. Il n’y était pas allé depuis trois semaines, c’était l’occasion.
« Allo ? Salut JL, ça va ?… Dis-moi, tu y vas au badminton ? Tu passes me prendre ? Ok, à tout’ ! »
Quinze minutes plus tard, ils roulaient sur la rocade. « Tiens, j’ai rencontré une copine à toi hier, Jessica, elle est sympa. » Décidément, c’était la journée. « Tu l’as vue où ?
— On a fait une soirée ciné avec des potes du boulot, et c’est la sœur d’Éric, tu sais, le barman qui sort avec ma collègue Séverine.
— Ah. Et elle t’a parlé de moi ? » Nicolas ne se sentait pas très à l’aise.
« Non, pas vraiment, elle a juste dit qu’elle te connaissait. Elle a demandé si tu venais.
— Tu lui as dit quoi ?
— Ben non, pourquoi ? Dis donc, c’est quoi le problème ? T’as l’air bizarre, y’a une embrouille ?
— Non. » Le regard suspicieux de JL s’attarda un instant sur lui. « T’es sûr ? Parce que Jessica, c’est bien le nom de la danseuse sur qui t’avais flashé ? » Nicolas essaya de se faire tout petit dans le siège. « Mais il ne s’est rien passé, n’est-ce pas ? T’aurais pas fait ça ?
— Ben non, pour qui tu me prends ?!
— Crache le morceau Nico, je vois bien qu’y’a un truc. Qu’est-ce que t’as fait ?
— Rien je te dis. On a juste dîné ensemble une fois.
— Dîné ? » Le sourcil interrogateur, JL attendait la suite.
« Oui, dîné, tu sais des trucs qu’on mange, dans un resto, ça se fait entre amis.
— Hm, oui, bien sûr. Tu me rappelles la dernière fois que tu m’as invité au resto ?
— ça n’a rien à voir, d’abord tu préfères les pizzas et elle a réglé sa part.
— Mort de rire, parce qu’en plus tu l’as laissée payer ? Je comprends que tu sois pas fier.
— Tu comprends pas.
— Si, si, je comprends très bien. T’es un goujat. » Nicolas haussa les épaules. Après tout, si ça l’amusait. « Quoi d’autre ? Si, si, je vois bien qu’il reste un truc. Vas-y, raconte ta bêtise à tonton Jean-Luc. » Nicolas marmonna une réponse. « Quoi ? Articule mon vieux, on va pas y passer la journée.
— Elle m’a donné son numéro.
— Ah. Et tu l’as appelée bien sûr ? Non ? Sérieux ? Mais c’est quoi ton problème ? La fille sur laquelle tu baves depuis six mois te file son 06 et toi tu l’appelles même pas ?
— J’ai oublié. » Le hurlement de rire de JL résonnait dans l’habitacle. « C’est le soir où j’ai rencontré Salomé. » En larmes tellement il rigolait, JL gara la voiture sur le parking. « Alors là, je dis chapeau ! T’es trop fort Nico ! Du coup, tu seras pas fâché si je l’invite à dîner ? Elle m’a donné son numéro et Salomé est déjà prise ! »
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