Roland
Nicolas vérifia la mise de son col de chemise dans le rétro. Pas question d’arriver débraillé chez sa sœur. Quoi qu’il fasse, il ne serait jamais au niveau de Roger côté vestimentaire, mais il n’avait pas non plus envie de passer pour le plouc de service. C’était l’anniversaire de Clarisse et il n’avait pas pu se défiler pour la soirée qui promettait d’être ennuyeuse à souhait.
Au moins cette fois il était autonome. De cette manière, il pourrait partir discrètement dès les bougies soufflées. L’an dernier, il avait testé le covoiturage avec Yannis, un collègue de Roger. Mal lui en avait pris. Il aurait dû s’en douter, mais ses neurones devaient être en vacances à ce moment-là. Qui peut être ami avec un hipster sinon un autre hipster ? Il n’avait jamais si bien compris la maxime qui dit qu’on choisit ses amis, mais pas sa famille, et il avait rarement eu autant envie de retrouver les siens, d’amis.
Garé à quelques mètres de chez sa sœur, Nicolas essayait de trouver la force de descendre de la voiture. Quelques personnes arrivaient. Des couples pour la plupart, ce qui était déjà suffisamment oppressant en soi pour un célibataire. Mais en plus jusqu’ici, tous ceux qu’il avait aperçus étaient du même moule que Roger et Clarisse. De jeunes cadres dynamiques, branchés nouvelles technologies et franglais au bureau, vintage et années 90 en privé.
Deux coups frappés à la vitre le firent sursauter. Il se tourna pour voir qui venait le chercher. En reconnaissant le sourire de Roland, il se hâta d’ouvrir la portière.
« Dero ! Qu’est-ce que tu fous là ?
— Salut, Nico, je pouvais quand même pas louper les 30 ans de ma belle-sœur préférée !
— Je croyais que t’étais parti au Guatemala ?
— Costa Rica. Je suis rentré la semaine dernière. Tu ne peux pas savoir comme je suis content de te voir. J’avais peur d’être le seul mec normal de la soirée.
— Tu m’étonnes. T’es là pour un moment ?
— Au moins trois mois. Il faut que je bosse un peu avant de repartir. Les comptes sont à sec. Bon et toi, quoi de neuf ? »
Nicolas souriait en répondant à son ami. Le petit frère de Roger. Si seulement c’était lui que sa sœur avait choisi. Enfin, non, connaissant Clarisse, ça n’aurait jamais marché. Une adepte du contrôle comme elle, avec un électron libre comme Roland ? Nan, jamais de la vie. Roland s’était très vite rendu compte qu’il fallait travailler pour avoir de l’argent, mais pas forcément à l’école. « Tu comprends Nico, si tu commences des études supérieures, t’en as pour trois, cinq, sept ans avant d’avoir un boulot, et en plus, à tous les coups tu te chopes un CDI ! Tandis que moi, avec mon CAP de soudeur, je bosse trois-quatre mois en intérim, des fois six si le contrat est intéressant, et je voyage. J’ai fait pas mal de coins, y’en a qui craignent un peu, mais bon, c’est tellement kiffant de raconter les bas-fonds de Mexico à Roger que ça vaut le coup d’avoir la trouille ! »
Nicolas s’était parfois demandé pourquoi il appréciait Roland. Ils n’avaient pas grand-chose en commun. Il n’aimait même pas le rugby ! Mais il était libre. Libre de travailler ou pas, de voyager ou pas, d’être là ou pas. Nicolas n’enviait pas sa vie, seulement sa liberté, le dédain des règles implicites, du cadre établi, de ce que la société attendait de lui. Serait-il un jour capable de faire de même ? Rien n’était moins sûr. Mais continuer à fréquenter Roland deux à trois fois par an entretenait ce petit espoir, l’idée folle que quelque part, dans un autre temps, il écouterait sa fantaisie pour sortir lui aussi du cadre et de la grisaille des contraintes.
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