Jonquille
Nicolas hésitait, le téléphone à la main. La photo qui s’affichait annonçait sans détour l’identité de l’appelant, sa grand-mère. À tous les coups, il allait devoir y passer. Mais s’il ne répondait pas et que quoi que ce soit lui arrive, il s’en voudrait toujours. Il finit par décrocher. « Allo, mamie ?
— Bonjour mon chéri. Tu vas bien ?
— Oui, oui, ça va.
— Et ton travail ?
— Ça va. Et toi ?
— Oh moi, tu sais, à mon âge, j’ai du mal à dormir, et puis je ne vois plus aussi bien qu’avant.
— Tu as besoin de quelque chose ? » Au silence à l’autre bout, Nicolas sentit bien qu’il n’avait pas suivi le protocole. Aïe. Vouloir écourter une discussion avec Jonquille était une erreur. Contrairement à son fils qui pouvait enchaîner les questions et les réponses sans se soucier de son interlocuteur, pour Jonquille, les conversations devaient respecter les usages. Cela incluait des préliminaires, sur la météo, la famille ou le travail, puis quelques remarques générales sur l’état du pays, les élections locales ou les commerces, avant de passer à la raison de sa visite ou de son appel.
« Parce que tu penses que je ne peux pas téléphoner à mon petit-fils juste pour prendre de ses nouvelles ?
— Si, bien sûr, pardon mamie. » C’est juste qu’on s’est vus hier, alors au niveau nouvelles, y’a pas grand-chose de plus. Mais ça, il ne pourrait jamais lui dire. Déjà qu’elle était susceptible, pas la peine d’en rajouter. Il sourit en repensant à son surnom, Jonquille. C’est lui qui l’avait trouvé un jour où elle se plaignait de son prénom de naissance, Rose. « Tu vois mon petit, mes parents pensaient bien faire, mais Rose, c’est trop usité. Ça désigne une couleur, un parti, des activités… pas pour les enfants, et une fleur. Si au moins ça n’était qu’un nom de fleur, ça m’aurait plu… Violette c’est joli, ou Jasmine… » À quatre ans, Nicolas n’avait pas compris grand-chose à son discours, mais les noms des fleurs, ça il connaissait et il était très fier d’un nouveau mot qu’il venait d’apprendre. « Jonquille, mamie. Jonquille c’est joli aussi. » Sa tante Marcelle qui arrivait avait ri de bon cœur, voyant son neveu de quatre ans remettre à sa place sa grand-mère calimero. « Oui, c’est parfait bonhomme, mamie Jonquille c’est très bien, n’est-ce pas maman ? »
« Mamie ? Tu es toujours là ? Tu veux que je vienne ?
— Non, non, je me demandais juste… tu ne saurais pas où ta mère range le chocolat ? » Retenant un éclat de rire, Nicolas se souvint que Jonquille devait rester quelques jours chez ses parents le temps de refaire sa salle de bains. Il pouffa, gourmande comme elle était, elle allait vider les placards à friandises en moins de deux.
« Non mamie, désolée, mais je pense que Mathias saura. Tu veux que je te donne son numéro ? »
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