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Le rêve de Nicolas – Ch 02

Le rêve de Nicolas, un roman de Sandrine Walbeyss

Le doute

Je m’appelle Laurent et j’ai cinquante-sept ans. Je travaille depuis vingt-cinq ans au journal régional en tant que chargé du contrôle qualité. J’aime mon travail et je le fais bien. Je suis ordonné, logique et raisonnable.

La première fois que j’ai vu Dieu, je venais de finir une glace au chocolat. Elle m’a dit « Vous en voulez une autre ? » et je me suis réveillé sans avoir pu éclaircir ce mystère : Dieu est une femme qui sert des glaces au café de la plage ?

La première personne à qui j’en ai parlé, ma femme Lucie, m’a dit que j’avais dû mal comprendre, ou mélanger des souvenirs. Mon collègue Bernard, cartésien comme pas deux, en a déduit que les slogans féministes que nous imprimions dans le journal avaient fini par me monter à la tête. Et mon psy m’a parlé de ma mère et d’une suspicion de toute puissance maternelle.

Il s’est ensuite passé plusieurs jours, ou plutôt plusieurs nuits, sans que je rêve, ou du moins sans que je m’en rappelle. J’avais donc oublié cet épisode au fond de mon esprit lorsque je L’ai recroisée.

Cette fois, Elle tricotait dans la salle d’attente de mon dentiste. Elle n’avait ni le même âge, ni le même physique, mais je L’ai tout de suite reconnue. J’étais sûr que c’était Elle. À la fois ravi de la revoir et tétanisé à l’idée de parler à Dieu, je suis resté là, sans rien dire, à La regarder s’activer sur ses aiguilles. Elle tricotait une immense écharpe arc-en-ciel qui venait habiller les murs du cabinet avant de s’échapper en volutes colorées par la fenêtre ouverte sur la grisaille d’un hiver normand. Lorsqu’Elle leva la tête de son ouvrage pour me contempler d’un air interrogatif, je me réveillai une nouvelle fois sans réponse.

Cette fois, il me fallait un spécialiste pour m’aiguiller.

Mais qui ?

Je me rendis vite compte que je manquais de précisions pour savoir à qui m’adresser. Un curé ? Un pasteur ? Un rabbin ? Un imam ? Ma certitude que j’avais vu Dieu, à deux reprises, ne me permettait pas de savoir de quel Dieu il s’agissait, n’en ayant pas moi-même un de prédilection.

Il me fallait donc un spécialiste à compétences multiples, qui aurait moins de chances d’être choqué par mes questions naïves. Prenant mon courage à deux mains, je décidai d’en parler à Roger, professeur de philosophie à l’université de Rouen et qui écrit une chronique régulière dans le journal.

Le jour où je l’abordai, il venait de déposer un texte sur la place de l’homme et l’idée d’une puissance supérieure. Je pris ça comme un signe et démarrai la conversation autour de la machine à café.

« Dis-moi Roger, à ton avis, si je rencontrais Dieu, comment pourrais-je savoir que c’est lui ? »

Déjà hésitant à partager une nouvelle fois mes visions avec quelqu’un, je n’avais pas très envie d’y ajouter l’élément principal de mes interrogations. Était-il possible que Dieu soit une femme et que personne ne le sache ?

Roger leva un sourcil broussailleux, et me regarda bizarrement.

« C’est nouveau cet intérêt pour Dieu ? Mais je ne vois pas le problème, il suffit de lui poser la question. Bon, il faut que j’y aille, à la semaine prochaine ! »

Je restai planté là, mon café à la main, abasourdi par ma propre bêtise. Comment avais-je pu passer à côté ? Un enfant de cinq ans aurait su quoi faire. J’avais retenu la leçon. 

Moi qui avais toujours été insomniaque et qui redoutais la nuit, j’en étais venu à l’attendre avec joie, espérant La recroiser pour obtenir des réponses à mes questions. Mais plusieurs semaines passèrent avant que mes souhaits ne soient exaucés.

Cette fois, Elle pratiquait le ski nautique sur la Seine, slalomant avec adresse derrière le bateau, malgré le froid de cette fin d’automne. Elle était plus jeune que la dernière fois, mais dans une forme olympique. Lorsqu’Elle s’arrêta près de moi, c’est Elle qui entama la conversation.

« Bonjour Laurent. »

Surpris, j’émis un bonjour à peine articulé.

« Tu as des questions pour moi, je crois. »

Elle me regardait d’un air patient, comme pour un enfant auquel il faut expliquer les choses. 

« Vous êtes Dieu. »

Elle rit doucement.

« Ce n’est pas une question. Mais oui, je suis Dieu.

— Et Vous êtes une femme. »

Elle rit à nouveau, avec une gaieté communicative.

« Tu es très observateur. N’as-tu pas d’autres questions ?

— Pourquoi êtes-Vous là ?

— Il faudrait que tu précises ta question. Pourquoi le ski nautique ? Ou ton rêve ? Ou à côté de toi ?…

— Heu… Tout. Pourquoi le ski nautique ? »

Elle éclata de rire.

« Parce que tu l’as décidé.

— Je ne comprends pas.

— Nous sommes dans ton rêve Laurent. C’est toi qui crées le décor et qui choisis les acteurs. Moi je me contente de prendre une place libre pour te parler. Ceci dit, j’apprécie de changer d’activité ! »

J’essayais d’intégrer ce qu’Elle venait de dire. Je suis le créateur de mes rêves ?

« Mais alors les mauvais rêves ?

— C’est aussi toi qui choisis ce moyen pour évacuer une mémoire trop lourde et prête à sortir. C’est comme un panneau sur l’autoroute qui t’indique la prochaine sortie. Tu peux choisir de la prendre ou pas.

— Pourquoi moi ?

— Que veux-tu dire ?

— Pourquoi êtes-Vous venue me voir ?

— Pourquoi pas ?

— Je ne suis pas le mieux placé. Je ne crois même pas en Vous.

— Et pourtant tu m’as tout de suite reconnue.

Là Elle marquait un point.

— J’aurais pu me tromper.

— Dans ce cas, t’es-tu trompé ? »

 Je réfléchis un instant. Rien ne collait. Toute ma vie, on m’avait dit que Dieu était un vieil homme barbu, avec des piles de règles strictes, des bons points ou des mauvais en fonction de nos actes. Là je trouvais une jolie femme, drôle et légère, attentive et bienveillante.

Et pourtant, je n’avais pas de doute. À cet instant, peu m’importait ce que j’avais appris, je savais.

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